LIBÉRATION

Théâtre. Créée en 1988 par le duo Maillan-Piccoli, « le Retour au désert », pénultième pièce du dramaturge, est revisitée en franco-brésilien à l’occasion du festival d’Automne.

Mathilde est revenue. Il est probable que Bernard-Marie Koltès a eu Brel dans la tête au moment d’écrire le Retour au désert, son avant-dernière pièce. Mathilde est revenue à Metz, dans la maison familiale où habite Adrien, son frère. Elle arrive d’Algérie, avec ses valises et ses deux enfants. Elle a cru quitter la guerre mais la guerre ne l’a pas quittée. Dès la première scène, les hostilités sont déclenchées entre elle et son frère. La cohabitation va se révéler plus que chaotique.

Drôle de pièce : Koltès l’avait écrite spécialement pour Jacqueline Maillan et Michel Piccoli. Pour eux, il était revenu à un théâtre de facture apparemment classique, un vaudeville dans une maison bourgeoise avec règlements de compte en famille et domestiques écoutant aux portes qui claquent.

Lors de la création de la pièce en 1988 au théâtre du Rond-Point à Paris, si la confrontation entre Maillan et Piccoli tenait à peu près ses promesses, la mise en scène de Patrice Chéreau semblait empesée, comme si lui-même doutait de la portée d’un texte aux enjeux confus. C’est que le conflit ne concerne pas seulement les personnages, mais l’écriture elle-même. Dans la maison d’Adrien et Mathilde, Koltès rapatrie des thèmes qui lui sont chers : le rapport de forces, la peur, l’engrenage de la violence, la fascination de l’étranger.

Haine de l’autre. Si les personnages se déchirent entre eux, c’est qu’ils sont aussi déchirés de l’intérieur par le désir ou la haine de l’autre. Mathilde revient d’Algérie avec une fille, née d’un père arabe, qu’elle a appelée Fatima ; à la Libération, elle avait été tondue parce que soupçonnée d’être sortie avec des Allemands. Adrien, le chef d’entreprise, semble dégoûté du monde et de lui-même, et tente d’empêcher son fils de quitter la maison.

La pièce oscille entre réalisme historique (les notables proches de l’OAS qui font sauter un café arabe) et lyrisme fantastico-énigmatique : un grand parachutiste noir surgit de nulle part pour faire l’éloge des colonies ; le fantôme de la première femme d’Adrien se promène dans le jardin ; le fils d’Adrien s’envole. Tantôt triviale, tantôt châtiée (Koltès avait le goût de la rhétorique classique), toujours en déséquilibre entre deux registres, la langue est encore déstabilisée par les interventions en arabe d’Aziz, le domestique de la maison.

Grand jeu. De cette cacophonie, la mise en scène de Catherine Marnas - qui est depuis plus de dix ans artiste associée au théâtre de Gap - fait son miel. Elle commence par l’accentuer. Son Retour au désert est donné en version franco-brésilienne. La pièce a d’abord été montée à São Paulo et les principaux rôles sont doublés : il y a deux Mathilde, deux Adrien, etc., joués par des duos d’acteurs franco-brésiliens. Complices ou comparses, ils se répartissent répliques et situations. Parfois, l’un traduit ce que l’autre vient de dire, d’autres fois pas - il y a des surtitres. A certains moments les acteurs brésiliens se mettent soudain à parler français, et les acteurs français, portugais. Français ou brésilien, Aziz parle aussi arabe.

On s’y perd pendant cinq minutes, puis on s’en amuse beaucoup et ce Retour au désert devient alors un grand jeu, un chaos souriant et remarquablement maîtrisé - presque trop par moments - qui rend justice à la portée comique de la pièce mais aussi à sa dimension tragique.

« J’ai choisi, explique Catherine Marnas, de sortir la pièce de son contexte franco-français, de la déraciner pour entendre de manière évidente sa force métaphorique. » Elle peut compter sur l’homogénéité d’une troupe où chacun est en permanence à l’écoute de l’autre, ce qui n’est pas la plus mauvaise façon de rendre hommage à Koltès.