PRÉSENTATION

Il ne se passe pas un jour sans que l’on nous parle de l’exclusion, de l’indifférence, du racisme, et désormais de délation, dans cette société d’abondance laissant des millions de personnes sur le bord de la route. Vingt ans que Koltès n’est plus et pourtant son théâtre basé sur une recherche permanente de la communication entre les hommes, résonne sans aucune mesure dans la tragédie de l’être du XXIème siècle.

La Nuit juste avant les forêts a été écrit à la suite d’une rencontre de Bernard-Marie Koltès avec un jeune homme croisé aux Halles, la nuit. Démuni, face à la parole, face à l’appel d’humanité de son interlocuteur auquel Koltès n’a su que répondre, il écrit ce texte d’un lyrisme sauvage et familier, revendiqué comme sa pièce théâtrale fondatrice, au point de renier tout ce qu’il avait écrit auparavant. Peut-être parce que le destin de ce locuteur concentre les thèmes les plus chers à son auteur : la solitude, la quête de soi, le rêve d’une vie meilleure, l’exclusion, l’oppression, la difficulté à exprimer une demande et l’impossibilité de se soustraire aux désirs.

Cet homme lui parle de son univers. Une banlieue où il pleut, où l’on est étranger, où l’on ne travaille plus ; un monde qu’il traverse, pour fuir, sans se retourner ; il lui parle de tout, de l’amour, comme on ne peut jamais en parler, sauf à un inconnu comme celui-là, silencieux, immobile.

Ces mots pour retenir l’inconnu, Iljir Sélimoski, le jeune interprète de La Nuit juste avant les forêts les connaît bien, les entends, les comprends. Né au bout des pistes d’Orly, dans une HLM, un quartier, la cité, des immigrés des cinq continents, aux portes du monde... Iljir n’aura cesse de les clamer, de porter ce soliloque dans la tête, dans sa bouche, le partageant au hasard des passants croisés devant sa gare d’Uzès, dans les rues de Paris....

Catherine Marnas les entendra : "Comme jamais je ne les avais reçus avec cette clarté, cette évidence, comme par exemple la cohabitation en une seule tête de deux générations d’immigration, inconciliables... l’humilité, la soumission souriante des pères jouant à ne rien comprendre et la rage, la haine des fils rêvant de destruction pour se venger de cette humiliation".

La naissance de ce spectacle - de part les liens qu’il a engendré pour exister, pour être monté - est devenu en soi une métaphore parfaite du manifeste de son auteur : celle de la rencontre entre plusieurs mondes ; le monde d’un jeune comédien, Iljir Sélimoski, dont le destin est transformé par l’auteur qu’il sert. Celui d’un monde de théâtre - La scène nationale des Salins- qui accompagne et soutient ardemment un comédien en devenir. Enfin le croisement avec l’équipe de la Compagnie Parnas et de sa metteur en scène -Catherine Marnas- sensible à l’histoire vécue d’Iljir, et qui a eu envie de répondre à sa demande, à son désir.

(...) Si tu veux un jour comprendre tous ceux, ou certains de ceux qui ne parlent pas le même langage que toi (et on ne peut quand même pas toute sa vie ne comprendre et ne parler qu’à son "monde" à soi, qui est si petit !), il faut se rendre compte que, en général, plus la chose à dire est importante, essentielle, plus il est impossible de le dire...

Bernard-Marie Koltès
Extrait de la Lettre inédite à sa mère, Paris, juillet 1997