Depuis longtemps (toujours) Catherine Marnas met en scène des personnages dédoublés, qui assument à plusieurs, en même temps, un rôle. Dans Retour au désert le procédé atteint son paroxysme : les personnages sont systématiquement doublés, suivis, contredits, mimés, caricaturés, explicités, appuyés par leur double, ombres omniprésentes dont ils semblent tirer leur force. Et de surcroît ces ombres sont Brésiliennes, parlant une autre langue...
Ce partage du texte, loin d’encombrer le propos, l’illumine : dans Retour au désert il est question de pays étranger, de relations binaires entre une mère et sa fille, une sœur et son frère, un garçon et son cousin, un serviteur arabe et son jeune patron. L’altérité, en jeu dans la langue de la pièce, brutale et châtiée, comique et violente, est ici projeté sur la scène, tandis que la fracture avec l’étranger semble se jouer au cœur de l’individuation, comme si chacun parlait tout à la fois deux langues labiles : les langues s’échangent, se reprennent, s’écrivent sur les murs, varient dans une remarquable fluidité, une complexité où tout, toujours demeure compréhensible, pendant plus de deux heures de bilinguisme, avec un zeste d’arabe par-dessus, et des incursions fantasmatiques.
L’enjeu de la pièce s’éclaire alors : la maison dont la sœur et le frère se disputent la propriété, l’héritage, n’est pas seulement une métaphore de l’Algérie ou de la France coloniale. Elle est, plus universellement, celle de la langue. C’est à dire du fondement même du théâtre de Koltès, qui parle beaucoup mais dont le sens se dissimule derrière les mots qui sont dits. Comme ces corps doubles qui fabriquent des personnages par l’espace qui les sépare. Les comédiens de la Cie Parnas sont comme toujours formidables. Les Brésiliens sont épatants, la scénographie mouvante efficace et belle : le spectacle a triomphé à Gap, et au Théâtre de la Ville. Bientôt à Marseille, qi subventionne une Cie qu’elle voit décidément trop peu ?
Agnès Freschel