LA TERRASSE

Catherine Marnas pérégrine avec une aisance et une intelligence insolentes dans les terres brechtiennes. Un spectacle de colère et d’enthousiasme remarquablement abouti.

Théâtre du décentrement et concentré de talents

Les modernes thuriféraires du libéralisme omnipotent pourraient sans doute trouver Brecht caricatural et la lutte des classes un combat d’arrière-garde pour nostalgiques dépassés par l’évidence de la cruelle nécessité du marché. Pourtant, la façon dont Marnas, rétive aux solutions faciles, dépoussière et actualise le propos résonne comme la clameur ressuscitée et grondant de la résistance à l’exploitation. Justement en se gardant de toute caricature. Non seulement dans le traitement des personnages puisque Mauler, diable angélique, a les traits lucifériens de Julien Duval et que Jeanne est campée par Claire Théodoly, à la beauté d’une Iphigénie au bûcher, mais aussi dans les partis pris de mise en scène qui jouent en certains tableaux des lieux communs esthétiques du réalisme socialiste et en d’autres des habitudes représentatives de la modernité médiatique. Une évidente volonté de distanciation intelligente, comprise et modernisée fait de mise en scène une brillante critique des apories des deux systèmes politiques ainsi incarnés, avec un soucis dialectique d’une rare efficacité scénique. Les comédiens, tous excellents, sont entourés par les chœurs d’amateurs qui ont travaillé pour l’occasion avec Catherine Marnas et sa troupe, et l’ensemble est orchestré par Franc Manzoni éblouissant de justesse et de talent en narrateur de l’intrigue.Menés de mains de maître, les différents acteurs de cette fresque bouillonnante réussissent à parfaitement en équilibrer les effets. De la musique et des lumières aux costumes, du son à la scénographie et aux images, tout concourt à réaliser un spectacle éminemment réussi.

Catherine Robert