Au bout des pistes d’Orly, l’exceptionnel envol de Iljir Sélimoski
Ce fut une belle rencontre, celle qui jalonne le parcours du spectateur en quête de sens. C’était en avril 2007, au Théâtre des Salins de Martigues. Dès 2005, Iljir Sélimoski, « né au bout des pistes d’Orly », a partagé devant les passants, à la gare d’Uzès, dans les rues de Paris, le texte de Bernard – Marie Koltès, « La nuit juste avant les forêts ». L’homme y évoque son univers de banlieue et sa quête d’amour. Pour passer de la rue au théâtre, Iljir a rencontré le regard bienveillant de Jean-Louis Trintignant le recommandant auprès d’Annette Breuil, directrice des Salins, qui lui choisit la metteuse en scène Catherine Marnas. À eux quatre, ils formèrent une jolie chaîne qui permit pendant deux années de métamorphoser Iljir en comédien. Habité par le texte de Koltès, il devra dorénavant faire de la scène son décor imaginaire. Au final, le résultat est prodigieux
Il est là, face à nous, marchant sur l’eau au cœur d’un magnifique décor. Nous voilà comme descendus au sous-sol pour nous immerger dans le texte de Koltès, pour approcher la métamorphose de Iljir (l’un est dans l’autre et inversement). Ce double regard est tout de même exceptionnel au théâtre, où l’auteur transforme la vie de l’acteur. Quelle belle métaphore de ce que l’art peut faire ! C’est ainsi que j’écoute le destin de Iljir pour ressentir la puissance de Koltès. De le voir faire ses ronds dans l’eau, de l’entendre décliner ce texte, alors que la vidéo projette notre environnement urbain et nos silhouettes (de spectateurs ?), tout semble fait pour que nous approchions Iljir, là ou la rue nous en éloigne. Catherine Marnas lui donne de la voix, guide son corps au gré des rencontres. Elle l’habite d’amour quand il n’y croit plus ; elle l’ouvre lorsque les murs l’enferment. Elle réussit à ne jamais nous distancer de son histoire comme si elle hésitait à le conduire comme un comédien. C’est alors que la fragilité de la mise en scène est une force et fait de « La nuit juste avant les forêts » un manifeste d’humanité.
Pascal Bély}