PRÉSENTATION

À la première lecture de ce roman, je n’ai pas pensé immédiatement à sa potentialité théâtrale. Je l’ai beaucoup aimé tout simplement.
Il m’a accompagné, faisant son chemin dans ma tête, jusqu’à cette évidence du désir de le partager avec vous, de donner chair et vie à ces personnages de papier. Adapter un roman est une tâche délicate, il faut veiller à ne rien “assécher”. Il ne s’agira pas de réduire le roman à une forme seulement dialoguée mais d’y glisser aussi du récit à la 3ème personne, forme qui vous est familière à travers mes spectacles (Sainte Jeanne des abattoirs) ou d’autres que vous avez pu voir sur ce plateau.
Plus je rêve à ce projet et plus sa richesse théâtrale me devient évidente : sa structure de remontée dans le temps, de l’époque contemporaine à la dernière guerre mondiale, son sujet “transgénérationnel” pour employer un terme à la mode ; qui peut se raconter plus simplement par « comment les blessures secrètes et intimes du passé marquent à notre insu nos existences actuelles ». A partir de ce petit garçon américain d’aujourd’hui insupportable, islamophobe et anorexique, nous traversons les générations, les instantanés de vie, comme des photos dans un album de famille pour arriver à la faille initiale.
Le fil se remonte avec une inexorable et improbable cohérence (aussi improbable et inexorable que nos existences ?).
J’ai conçu ce projet comme un feuilleton. Le premier rendez-vous auquel vous êtes convié est donc une sorte de “pilote”, le premier épisode d’une série à suivre. Nous n’allons pas casser le suspens en vous révélant dès le premier épisode “qui est le meurtrier” (façon de parler) mais comme dans un pilote tous les ingrédients et l’esthétique seront là.
L’importance de la musique, j’imagine les remontées dans le temps comme scandées par des “tubes” qui ramènent immédiatement le parfum de chaque époque mais aussi sans doute le chant et la danse. J’aimerais faire des “Lignes de faille” une sorte de comédie musicale romanesque (après avoir fait la comédie musicale marxiste avec Sainte Jeanne).
Les impatients ou les nombreux lecteurs de Nancy Huston qui ont lu le roman s’interrogeront peut-être sur l’âge des interprètes. En effet dans le livre les narrateurs successifs sont pris au moment de leur enfance. Ce sont les comédiens adultes que vous connaissez et d’autres que vous découvrirez qui prendront en charge cet état d’enfance.
L’inconscient n’a pas d’âge, les personnages de théâtre encore moins.

CATHERINE MARNAS