SUR LE FIL

On dit souvent, lorsque l’on est en recherche sur une création, que le but de notre recherche - l’objet théâtral que nous essayons de produire, se trouve sur le fil : sur un étroit chemin de crête qu’à force de tâtonnements, de tentatives, de coups de balanciers à droite puis à gauche, on tente de discerner, puis sur lequel on essaie de trouver l’équilibre. Jamais cette métaphore n’aura été aussi juste que pour la création de Sallinger. Car, à l’instar du personnage du Rouquin, fantôme insolent décrit par Koltès "en équilibre sur le bord du cercueil", ce mort facétieux qui nous rappelle à quel point nos vies ne tiennent finalement qu’à un miraculeux, un provisoire, un précaire équilibre, c’est toute l’équipe de création qui joue les funambules pour parvenir à marcher, courir et même danser sur le vertigineux et étroit fil de ce texte si complexe :

 Les comédiens d’abord, qui pour trouver ce chemin ténu, doivent parvenir à de subtils dosages : se laisser déborder par la langue de Koltès, mais sans tomber dans la précipitation ; faire entendre chaque mot, sans jamais jouer les mots ; nous offrir à voir de la pensée en mouvement, jamais de la réflexion ; et trouver le juste état qui leur permet de s’abandonner à "l’ouragan d’émotions" que constitue chacune des scènes de cette pièce.

 Tous les autres créateurs ensuite, qui doivent conjuguer les contradictions : trouver l’accord entre la pénombre des scènes nocturnes et la clarté des visages, mixer dix sons différents pour parvenir à l’évidente simplicité d’une ambiance sonore, ou faire cohabiter la fragilité des délicats tulles qui recouvrent tous les costumes, avec le tranchant de l’acier de la scénographie.

 Et Catherine enfin, qui travaille à transmettre cette pièce au public sans rien lui enlever de son mystère et de sa poésie ; qui doit imaginer la théâtralité d’une écriture composée principalement de monologues sans dénaturer une structure dramaturgique qui juxtapose des solitudes face au deuil.

Koltès, dans Sallinger, s’amuse à inverser les valeurs et à marier les paradoxes. À quelques jours de la rencontre avec le public, nous débusquons les antiphrases, nous évoluons parmi les oxymores, nous abordons la mort dans le rire, et les bras tendus en balanciers, nous essayons de nous stabiliser sur le mince et vacillant fil des répétitions de Sallinger.

Julien Duval, assistant à la mise en scène.